25 juillet 2017

Nouvelle phase d'activité intense au Shiveluch

C'était quelque chose d'un petit peu attendu, car depuis septembre 2016 l'activité semble avoir légèrement changé de rythme. On assiste à des pics d'activité intense mais courts, au cours desquels de puissantes explosions associées à d'importants écoulements pyroclastiques se produisent.
C'est un nouveau pic de ce genre qui s'est déroulé le 24 juillet au matin, dans les chaudes lumières du jour levant. A la lecture des images produites par les webcams pointées sur ce volcan, il est clair que ce qui s'est produit en premier est un écoulement pyroclastique, assez volumineux. Il a débuté à 05h45 environ (heure locale) à cause de l'effondrement d'une grosse partie du versant nord du dôme qui, lentement, s'était édifié depuis juin 2015. Pas facile de savoir quelle a été sa vitesse de pointe mais en tout cas, vu qu'une minute sépare l'image ci-dessous de la précédente sur laquelle il n'y a rien, et vue que la longueur de l'écoulement sur l'image est d'environ 700m, on peut déduire que la vitesse doit être de l'ordre de 11 m/s *(~42 km/h) au départ.



L'écoulement pyroclastique qui a initié ce nouveau pic d'activité. Image: IVS-FEB-RAS

S'ensuit tout une série d'événements car alors que ce premier écoulement commence tout juste sa course une activité explosive se produit au niveau de la zone qui vient tout juste de s'effondrer. Généralement ce type d'événement ne produit pas qu'une explosion, mais une série d'explosions séparées par peu de temps, et qui injectent chacune avec force une grande quantité de cendres dans l'atmosphère. Ce sont ces injections répétées et proches qui ont formé le panache de cendres. Celui produit hier par cette phase, assez impressionnant, s'est élevé à une altitude estimée à 12000m par le VAAC de Tokyo. Ce panache a été emporté loin vers l'est par de puissants vents d'altitude, dépassant allègrement les 1000 km de long dans les heures qui ont suivi l'événement.

Le panache de cendres, dont la tête s'aplatit en percutant la tropopause, et les écoulements pyroclastiques. Image:  KB-GS-RAS

Pendant que le panache de cendres s'élevait dans la basse atmosphère, le premier écoulement pyroclastique finissait sa course après un parcours long de 3500 à 4000 m environ, mais était suivi d'une seconde phase d'effondrement génératrice d'un nouvel écoulement, bien plus important, plus rapide, plus volumineux, plus long puisqu'il a atteint une longueur proche de 7000m (environ). C'est celui que l'on voit sur l'image ci-dessus d'ailleurs.

Lorsqu'un tel événement se produit il y a toujours au moins deux hypothèses sur la cause:
- s'agit-il d'une puissante activité explosive qui débute, dont la cause serait l'arrivée d'un magma neuf, plus riche en gaz et donc beaucoup plus pressurisé (la pression se libérant sous la forme d'explosions puissantes)?
- s'agit-il simplement d'une phase d'effondrement de dôme, donc constitué d'un magma déjà partiellement dégazé?

Depuis septembre 2015, moment où cette extrusion (= sortie d'un magma visqueux) a débuté, il n'y a pas eu beaucoup de ce genre de pics d'activité: le magma en cause n'est donc pas surpressurisé au moment de son arrivée à la surface, car beaucoup de gaz = beaucoup d'explosions fortes. Même si l'on a pu voir quelques eplosions faibles à modérées de temps en temps, l'activité s'est essentiellement limitée à l'extrusion, la formation progressive du dôme, la destruction de sa surface, qui se solidifie au contact de l’atmosphère et s'émiette sous forme d'avalanches de blocs et d'écoulements pyroclastiques plus ou moins importants.

Mais depuis septembre 2015, changement d'ambiance: le dôme est plutôt entré dans une phase de progressive destruction que je qualifierais de "plutôt passive", et je vais tenter de préciser l'emploie de ce terme. Lorsqu'on regarde les images produites par les webcams en août 2016 on voit qu'à ce moment là l'extrusion est encore bien dynamique: les nombreuses avalanches de bloc en témoignent. Mais en octobre 2016 (après le premier gros événement en septembre donc) l'extrusion semble plus calme: les avalanches sont moins fréquentes, plus modestes. Cela témoigne d'un ralentissement de l'extrusion qui avait probablement commencé dès septembre. Comme d'habitude le hasard n'étant pas la première hypothèse à retenir, je trouve intéressant que le ralentissement de l'extrusion a cette époque concorde avec la première grosse crise avec gros panache de cendres et gros écoulements pyroclastiques. A ce moment toute une partie du dôme construit au cours de l'année précédents avait disparu, effondré. Depuis lors la situation n'a pas vraiment changé: l'extrusion reste lente et faible et d'autres événements importants ont à chaque fois emporté un bout du dôme.

On peut donc supposer que le ralentissement de l'extrusion fragilise le dôme, et que des parties entières se décrochent de temps à autres, sans être remplacées par l'extrusion. Il tombe littéralement en miettes, même si les "miettes" sont immenses. Il tombe sous l'effet de la gravité, sous sa propre masse, à cause de sa propre fragilité, et non parce que quelque chose d'autre (l'arrivée d'un magma neuf pour ne rien citer) le déstabilise, le pousse par en-dessous.
C'est donc parce qu'aucune cause "dynamique" (arrivée de magma) n'est présente, que je qualifie la destruction de ce dôme de "plutôt passive".

Évolution de la forme du dôme entre août 2016, moment où il est encore entier, et juillet 2017, où il manque des morceaux, enlevés progressivement à chaque pics d'activité.

"Pourquoi des explosions capables d'envoyer des cendres à 12000m d'altitude alors? C'est pas dynamique ça peut-être?" me direz-vous...
Si, pour être dynamique c'est dynamique, je ne vais pas dire le contraire. Mais ici l'explosion n'est pas la cause de la destruction du dôme, c'est sa conséquence. Lorsqu'un gigantesque bout de dôme se décroche et s'effondre, cela libère d'un coup toute la partie supérieure du conduit ("cheminée") par lequel le magma visqueux est sortit et à construit le dôme. Cette portion du conduit se retrouve  brusquement dépressurisée: le gaz contenu se libère et s'échappe dans une phase explosive violente mais courte.

Ce qui est de moins en moins dynamique c'est l'activité éruptive globale depuis plusieurs mois, ce qui n'empêche pas que certains événements un peu importants, comme l'effondrement d'un gros bout de dôme, entraine en réaction une activité explosive intense mais finalement "accidentelle".

Et pour la suite? Si l'on s'en réfère aux précédents, on peut supposer qu'il pourra encore y avoir quelques pics d'activité, tant que des morceaux de dôme  instables seront présents. Puis, si l'extrusion reprend de la vigueur, un nouveau dôme se formera par dessus les reste des dômes précédents, et un nouveau cycle recommencera. En attendant le KVERT est méfiant et maintient le niveau d'alerte aviation à l'orange, sauf au moment des pics d'activité comme celui d'hier, où il passe momentanément au rouge, le temps que les cendres se dispersent.

Sources: KB-GS-RAS; IVS-FEB-RAS; KVERT; MODIS;
* 700 m parcourus en 60 secondes = 11 m par seconde

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